L'ESPRIT DE SOLITUDE




L'Esprit de solitude

de JACQUELINE KELEN

Éditions Albin Michel

 
 
L'être humain est-il un animal social ?

Sans aucun doute oui. Et ce n'est mystère pour personne. Depuis que l'humain est humain, c'est-à-dire depuis le jour où il a pris conscience de sa différence, peut-être même depuis bien avant ce temps, l'humain ne sait vivre autrement qu'en meute, famille, clan, ethnie, nation. Le vivre ensemble, être ensemble, se rassembler, se ressembler furent depuis l'aube des temps ce qui permit à l'être humain de se connaître, de vivre et de durer.

En réalité cette spécificité humaine n'en est pas une, beaucoup d'espèces vivantes ont choisi cette optique de vie. Parce qu'à plusieurs nous sommes plus forts ? Parce que vivre en groupe nous permet d'expérimenter plus intensément chaque événement, plus vite, plus souvent ? Se confronter à plus d'idée, de propositions, d'options ? On dit souvent que l'animal social est plus intelligent que l'animal non social. Est-ce vrai ? Où est la part du préjugé dans cette sentence? Où est celle de l'observé réel ?

La vie en groupe, en famille, ensemble, implique généralement bien plus de renoncements que de renouvellement. Car finalement, ce qui primera, c'est le groupe, sa continuité à lui. Pour que le groupe se perpétue, il faudra bien souvent sacrifier l'originalité de l'individu, sa personnalité originale, sa force de créativité, sa formidable tendance à renouveler chaque jour sa réflexion et son observation des choses.

En réalité, il n'y a pas d'esprit créatif dans le groupe parce le groupe fonctionne avec des schémas préétablis, déjà de long temps expérimentés, éprouvés, tracés et désormais inaliénables à tous ceux qui s'inscrivent dans ce groupe. Appartenir au groupe c'est faire montre d'appartenance, c'est s'intégrer en laissant hors du groupe tout ce qui ne ressemble pas aux schémas ; rejeter sa propre histoire, son passé, son origine sociale, ethnique, culturelle, familiale ; rejeter en fait l'autre groupe auquel on ne peut plus appartenir, rejeter aussi sa propre intégrité.

Intégrité signifiant totalité, appartenir à un groupe c'est donc ne plus être total, entier, complet, mais être morcelé. Un morceau dedans, tous les autres dehors.

C'est ne plus être indivis.

Tous les migrants vous le diront.

Alors ? Vivre ensemble assurance du vivre mieux ?

Peut-être oui pour un certain niveau de l'être. Pour le confort, pour l'échange, pour l'entraide humaine. Mais sommes-nous obligés de vivre les uns avec les autres, les uns sur les autres en permanence, jour et nuit ? Vivre seul est-ce renoncer à ses amitiés ? A notre part d'humanité ? La solitude est-elle forcément une tare ? Une incapacité d'intégration ? La marque de notre débilité ?

Si l'on en croit le message éternellement répété par les institutions de quasiment toutes les sociétés du monde, oui, la solitude est une horreur à solutionner rapidement, urgemment même. Le célibataire, le solitaire est pourchassé jusque dans sa tanière la plus reculée, plaint, dénigré. « Il n'est pas de bon ton que l'homme soit seul » se dit le Dieu de la Bible devant sa créature, et pourtant, ne sont-ce pas des hommes, des femmes seul.e.s qui édifièrent les plus grands progrès techniques, artistiques, intellectuels et spirituels de l'humanité ?

C'est ce que nous démontre tout au long de son ouvrage Jacqueline Kelen. Par l'exemple de mythes héroïques, par le récit des vies de mystiques, hommes et femmes confondus, par les exploits de grands génies qui changèrent la face et le cours de l'histoire de l'humanité, Jacqueline Kelen nous raconte l'émergence de la particularité, de la singularité, de l'originalité assumées seules capables d'observation vraie, de réflexion, de remise en question profonde, bref, de contestation et donc de renouveau.

De Gilgamesh à Marguerite Porete en passant par Giordano Bruno et Nicolas de Staël, suivons la quête du héro solitaire, celui qui, parce que l'on ne peut comprendre le sens d'une quête autrement que dans le silence et le recueillement, sort de la foule bruyante et aveugle afin de l'aider à retrouver un regard neuf, enthousiaste et créatif sur les choses et les événements qu'elle rencontre.

Chaque héro a sa quête, parcours personnel, cependant tous cherchent au moins une chose : la rencontre avec l'éternité, le divin, ce qui en nous ne meurt pas.

Est-ce l'âme, l'esprit, l'idéal ? Est-ce Dieu ? Déesse ? Ou Dieux et Déesses ?

Chaque mystique a sa recherche spirituelle, son initiation propre, sa manière d'exprimer sa relation avec le divin. Et pourtant à la lecture de leurs textes une chose prévaut : cette relation entretenue entre l'être et l'esprit spécifique, unique et directe, sans intermédiaire.

Tout le monde n'est pas héro ni mystique, tout le monde n'est pas philosophe ou artiste. Pourquoi ? Parce que tout le monde n'est pas capable d'assumer sa solitude, de l'affirmer à la face du monde. Solitude qui lui donnera et l'espace et le temps pour suivre sa quête, qui lui permettra de s'ouvrir au divin et fera de sa vie une existence sacrée et reliée.

Jacqueline Kelen nous montre que de tous temps il y eut des solitaires, des ermites, des vagabonds, des chercheurs de toutes sortes qui s'écartèrent du monde et sortirent des ornières creusées par les dogmes des régimes socio-religieux installés. De tous temps la plupart de ces chercheurs furent poursuivis, maltraités, éliminés par ces régimes parce qu'ils proposaient un autre exemple d'existence, une liberté réelle qui, partant d'une relation divine hors norme, se manifestait par un comportement qui ne se référait plus aux lois imposées par ces systèmes. Ils obéissaient au contraire à d'autres lois et sortaient des références uniquement humaines, ils avaient compris que si le monde, la création, l'horizontalité, nous apporte une richesse d'expérience extraordinaire, cette richesse s'amplifie encore lorsqu'elle s'associe à l'expérience verticale, le monde céleste et invisible. Malheureusement cette richesse est souvent incompréhensible au commun des mortels, mortels parce qu'ils ne peuvent appréhender leur part d'éternité. Incompréhensible et inadmissible.

Ces mortels incompréhensifs le sont d'autant plus qu'ils ne savent pas voir l'âme, le subtil derrière chaque chose, toutes les choses qui les entourent et grâce auxquelles ils vivent. Les mortels sont mortels parce qu'ils ne voient et ne perpétuent que la mort. Une pierre est morte, un arbre est mort, une vache est morte ; tout n'est que matière sans vie, sans âme.

L'animal n'est même plus animé (doué d'une âme).

Et quand parfois ils perçoivent quelque chose d'un peu vivant, c'est pour tomber dans la superstition, la croyance absurde de contes ayant perdus leurs sens. Les contes deviennent des dogmes, des obligations incontournables, des comportements indispensables. Indispensables pour faire montre d'appartenance au groupe qui suit ces dogmes et écoute ces contes.

Voici donc pourquoi l'Esprit de Solitude est incontournable.

 

L'ESPRIT DE SOLITUDE De Jacqueline Kelen

Aux éditions Albin Michel en 2005
246 pages


 

ALLER PLUS LOIN

Jacqueline Kelen présente ses livres dont l'Esprit de Solitude au cours de l'émission Racine présenté par Nelly Thévenaz sur DailyMotion

http://www.dailymotion.com/video/xbbbti_jacqueline-kelen-et-la-pleine-solit_creation

http://www.dailymotion.com/video/xbfr70_jacqueline-kelen-et-la-passion-amou_creation

LES AMAZONES






Du mythe à l'histoire.

de GENEVIÈVE PASTRE

Collection les Octaviennes/Essais, Editions Geneviève Pastre

 

Dans son livre Les Amazones, Geneviève Pastre, philosophe et historienne, tente de replacer dans l'histoire les peuples Amazones afin, les sortant du mythe dans lequel elle estime qu'ils sont enfermés dans une sorte de fiction abusive, d'offrir aux femmes actuelles une racine historique.
Si je place ce livre dans ce site où il est plus parlé de spiritualité, de religion et de légendes (ou mythes) alors qu'il revendique une position forte contre ce que Pastre pourrait nommer la « mystification » ou fabrication des mythes à des fins généralement politiques de faits réels, c'est bien pour démontrer l'incroyable confusion entre l'histoire, les dogmes religieux et les mythes.

Qu'est-ce qui fait les mythes ?
Qu'est-ce qui fait l'histoire ?
On sait à quel point les mythes engendrent les identités des peuples, des nations, voire, des cultures. Sans y prêter garde nous acceptons des sortes d'événements, de faits, de gestes légendaires, héroïques, fabuleux, institués désormais comme réalité absolues non « questionnables ». Néron était méchant, bête et cruel, Charlemagne a créé l'école, les Grecs anciens sont les grands humanistes de ce monde et édifièrent notre civilisation occidentale... et les Amazones sont un mythe (et dans ce mythe, elles n'étaient vraiment pas sympas). Or, si l'on regarde chaque événement, on se rend très vite compte à quel point nos bases historiques sont fragiles et parfois même déviées, faussées, mensongères.
L'histoire en vérité se construit au fur et à mesure des besoins dogmatiques des puissances qui nous gouvernent. Attention, je ne parle pas ici de complots illuminati ou autres, je parle d'études, de réflexions faites sur l'observation des comportements des gens et de création d'histoire susceptible de répondre à une organisation précise d'un peuple et de sa hiérarchie supérieure.
Un exemple qui m'amuse beaucoup, c'est notre propre histoire de France. Depuis le XIXème siècle nos ancêtres seraient les Gaulois. Or, si tel était le cas, nous nous appellerions toujours « Gaulois » (mis à part les Grecs actuels, personnes ne nous appelle ainsi et encore moins nous-mêmes). Nous nous appelons « Français » ! Pourquoi ? Parce que nos véritables ancêtres, culturellement, étaient les Francs. Nous ne sommes pas d'origine gauloise, nous sommes d'origine germaine (un peuple parmi la Germanie).
Pourquoi avoir changé les choses ?

Parce qu'au XIXème siècle la France avait besoin de renouer avec des origines non catholiques (Clovis, premier roi du royaume des Francs s'étant fait baptisé par l'église catholique et ayant placé son peuple et son royaume sous l'égide de l'église romaine). Et voilà.
Après, bien sûr, on n'est pas obligé de vouloir réinstaurer la monarchie en France...

Cependant, le même processus a pu parfaitement se dérouler vis à vis des Amazones. Puisque les Grecs ne pouvaient comprendre qu'une femme sache guerroyer, administrer un clan, un royaume, une nation, puisqu'ils ne pouvaient admettre qu'une femme maîtrise son destin et soit non seulement l'égale de l'homme mais aussi, parfois, la détentrice de la linéarité génitale d'un peuple. Ils engloutirent leur existence à l'intérieur de formidables épopées héroïques et fabuleuses toutes bâties à leur gloire, la gloire du Mâle triomphant et puissant, la gloire de leur civilisation encore balbutiante mais hyper agressive de machistes invétérés.

Les amazones ont-elles existé ?
Personne ne pourra, dans l'état actuel des données, le certifier, du moins pas en tant que telles décrites par les Grecs (leur ennemi, il ne faut pas l'oublier). Cependant on sait, avec les travaux de Marija Gimbutas et d'autres, que de larges populations matrilinéaires existèrent durant des milliers d'années en Europe Occidentale avant l'arrivé de ce que nous appellerons désormais, les Indo-européens (Indo-européens dont font partie les Grecs de la deuxième et troisième générations). Et si l'on s'intéresse un minimum aux cultures qui nous entourent, on observe très vite que certaines survivent encore malgré tout.
Pourquoi le fait de prouver l'existence et la fonctionnalité d'autres types non seulement de cultures, mais aussi d'organisation sociales et religieuses est-il si important à nos yeux et aux yeux de Geneviève Pastre ?
Parce que depuis l'arrivée brutale des Indo-européens, depuis l'institution agressive et destructrice des dieux masculins sur cette partie du monde, tout un panel d'interdictions, de limitations, d'abus et de terreurs sans nom, c'est abattu sur cette partie du monde (et sur d'autres par la suite).

Geneviève Pastre se place sous l'optique lesbienne. À son sens les Amazones représentent une sorte d'ancestralité des lesbiennes d'aujourd'hui. Leur existence prouverait la viabilité des communautés indépendantes homosexuelles, leur pérennité, ainsi que leur intégration tout à fait envisageable, sans grosse remise en question de l'organisation de « l'ordre » actuel, au sein de nos nations.
Elles représentent aussi et surtout, à mon avis, une ouverture vers une autre forme de comportements, de réflexions et de croyances. Une sorte de retour vers la réintégration de la partie féminine, créatrice, accordées avec la Nature, complètement dénigrée actuellement quand elle n'est pas tout simplement éliminée (culturellement, spirituellement et physiquement).
Or ce retour passe aussi et surtout par la liberté sexuelle.
Être accordée à la Nature, ce n'est pas vivre à l'état sauvage, on n'a pas besoin d'ailleurs de vivre dans la nature pour trouver des expressions de sauvagerie, non, être accordée à la Nature, c'est être à l'écoute, c'est faire taire son intellect pour laisser s'exprimer sa sensibilité interne, sa capacité à accepter l'autre et ne pas chercher à détruire à des fins mercantiles et hyper individuelles.

Geneviève Pastre a-t-elle raison de se battre pour la reconnaissance de la réalité historique des Amazones ? Je dirais oui, en fait. Pour toutes ces raisons déjà évoquées, parce que l'on sait que c'est parfois en croyant les mythes que l'on fait d'étonnantes découvertes archéologiques (on se souviendra éternellement du cas de la découverte de Troie par Schliemann), parce que le passé n'est pas aussi immobile qu'on le dit et que des exemples antérieurs peuvent nous aider à reconsidérer notre avenir. À nous ouvrir des portes oubliées.
N'y a-t-il qu'une seule sexualité ?
La fameux partage des tâches hommes/femmes est-il inéluctable ?
Les dieux mâles sont-ils les seuls garants de notre transcendance et ce, à qu'elle condition ?
Qui sont ceux qui édifièrent cette culture patriarcale dans laquelle nous nous embourbons ?
Étaient-ils aussi civilisés qu'on le prétend ?
Pourquoi leur fut-il tellement important de détruire le culte de la Déesse, tellement important de mettre la femme au ban de la société, de la reléguer à l'état d'esclave et de chose ?

Pourquoi tant de haine vis à vis de la féminité ?
Vous trouverez sans aucun doute des réponses plus que pertinentes dans ce livre qui, pendant que l'on y est, vous permettra aussi de dépasser ce petit tressaillement de malaise que l'on n'évite que rarement lorsque l'on prononce le mot « lesbienne ».
Les réponses vous surprendront puisqu'elles ne se satisfont pas des préjugés ni des idées toutes faites, apprises à l'école données pour vérités absolues.
Ce livre est un petit trésor même si Geneviève Pastre ne serait sûrement pas très contente que je le place dans la section « Mythes ».
Qu'elle me pardonne.

LES AMAZONES De Geneviève Pastre

292 pages
Aux Éditions Geneviève Pastre, Collection les Octaviennes/Essais

Les Éditions Geneviève Pastre n'existant plus,
Vous trouverez ce livre que lorsqu'il sera réédité...





 

 


 

 

 

 

 

LE LANGAGE DE LA DÉESSE





de MARIJA GIMBUTAS

Editions des Femmes 2005

Préface de Jean Guilaine,
professeur au Collège de France.

Traduit de l'américain
par Camille Chaplain et Valérie Morlot-Duhoux.

 

Marija Gimbutas, archéologue américaine d'origine lituanienne, est née en 1921 à Vilnius dans un milieu où la moitié de la population est encore païenne. Plongée dès l'enfance dans une culture qui se réfère aux croyances anciennes de la Déesse où les relations à la nature et à la féminité sont importantes et paisibles, autant que dans une structure politico-religieuse chrétienne et fortement patriarcale, elle sera amenée à rechercher les liens et les divergences entre ces deux systèmes de sociétés.
Ainsi elle étudie très tôt la linguistique, l'ethnologie et le folklore, puis, à l'université, l'archéologie et les cultures indo-européennes (d'abord à Vilnius puis en Autriche à Innsbruck, pour enfin obtenir son doctorat à Tübingen en Allemagne en 1946).
Dotée d'une grande richesse culturelle, Marija Gimbutas va, sans réellement le vouloir, bouleverser les notions de l'archéologie, et donc de l'histoire classique, des temps modernes. Elle va réussir non seulement à théoriser mais aussi à prouver scientifiquement et empiriquement l'existence d'une civilisation pré-indo-européenne stable, étendue dans le temps et dans l'espace.
Stable parce qu'apparemment paisible et ne connaissant pas le conflit armé, parce qu'agricole et organisée en centres urbains relativement importants (jusqu'à 10 à 15000 habitants en Roumanie et Ukraine, culture dite de Cucuteni, - 4000 ans av. JC).
Étendue dans le temps car l'on estime qu'elle se développa sur plus de 25 000 ans. Les premières traces de la civilisation pré-indo-européenne datent de 35 000 ans avant notre ère.
Étendue dans l'espace car comprise sur tout le territoire européen actuel ainsi que le Moyen-Orient.

Pourquoi cette découverte fut-elle si importante ?

Tout simplement parce la civilisation en question se basait sur le culte de la Déesse et sur une organisation sociale que Marija Gimbutas va nommer « matristique » ou « gylanique ». Ce dernier terme repris par Riane Eisler dans le Calice et l'épée désigne une société structurée sur l'égalité entre les sexes (de « Gynè », femme en grec et  « andros », homme, le L faisant le lien entre les deux moitiés de l'humanité).
Elle remettait en question les théories précédentes qui toutes estimaient qu'aucune société n'avait jamais pu perdurer sans conflit, sans guerre, sans les valeurs viriles de l'agressivité, de la force et de la conquête. Depuis qu'Adam ne représentait plus notre ancêtre blanc, commun à tous les peuples du monde, depuis que l'homme se savait descendre du singe, il semblait normal au monde scientifique de penser que, puisque nous descendions du singe et que donc nous étions des animaux, comme toutes les « bêtes » nous dépendions intrinsèquement des lois naturelles. Or pour ces gens de laboratoire, la nature est forcément synonyme de sauvagerie (dans le sens où ils l'entendent eux-même, c'est à dire d'un état brutal, inconscient, stupide et sanguinaire) et de désordre. Pour eux, l'homme, afin de devenir l'Homme qu'il était aujourd'hui, avait du passer par un lent et subtile processus d'amélioration, d'évolution, d'acquisition conceptuelles, intellectuelles, culturelles... et physique.
L'Homme moderne était forcément plus beau, plus intelligent, plus « civilisé », c'est à dire plus apte à s'organiser et à vivre en communautés hiérarchisées, béni et protégé par les valeurs spirituelles des religions patriarcales supérieures. Pour passer de l'homme primitif, primaire et bestial à l'homme civilisé, il avait du se dégager de tout ce qui faisait de lui un être « de la nature », se dégager de la Terre, se défaire des mystères de la rondeur organique vivante de la Mère, pour ne se consacrer finalement qu'à la ligne droite, le Ciel et le Père autoritaire et rayonnant. L'Homme moderne, l'homo sapiens sapiens, comme il se plut à s'appeler lui-même, était le but, l'ultime finalité de 14000000000 d'années d'évolution absolue de toute la création universelle.

Voilà l'image.
Donc 14 milliards d'années.
Des milliards de tonnes de matière.
Encore plus de milliards de tonnes de non-matière ;
Le tout dispersé n'importe comment au milieu d'un espace vide astronomique.
Tout ça pour qu'existe un jour, un petit bouillonnement, sur un petit grain de poussière perdu là-bas sur un bras périphérique d'une galaxie quelconque au joli nom de Voix Lactée.
Les concepts intellectuels des religions patriarcales dans toutes leur splendeur. Beaucoup de bruit pour pas grand' chose... Mais aussi beaucoup d'orgueil car il aurait fallut tout ce déploiement de puissance matérielle pour donner à l'homme un espace de vie. L'Homme seul créature du seul Dieu au milieu de cette incroyable immensité d'espace et de temps.

Revenons sur Terre.
Autres mœurs, autres conceptions.
La Terre est un être vivant, riche, magnifique et merveilleux qui, profitant un jour de sa position dans l'espace, proche d'une étoile mais pas trop, accompagnée d'une lune chronomètre et d'étoiles bienveillantes, mit au jour le premier être vivant. Qu'importe qu'il fut minéral, végétal ou animal, il était forcément doué d'une âme. Qu'importe qu'il fut mâle ou femelle, les deux ou aucun, il était la Vie. La Terre enfanta et la Déesse s'épanouit par toutes ces âmes qu'elle engendrait, partageant avec elles sa divinité mystérieuse.

Car la vie est un mystère, un mystère incompréhensible et pourtant accessible, un mystère qui, lorsque vous le regardez de près, lorsque vous « prenez » le temps de le voir, vous remplit d'une admiration sans borne, d'un enthousiasme incommensurable parce qu'enfin vous percevez l'entendement des choses.
C'est ce mystère que découvrit Marija Gimbutas au cours de ses fouilles archéologiques, de ses recherches linguistiques et ses travaux sur les mythes populaires. Petit à petit elle parvint à reconstituer un langage anciens fait d'images et de symboles, fait d'objets et d'art de vivre. Tout était écrit, tout était déjà dit, il suffisait de lire. Mais pour lire ces concepts « nouveaux », il fallait aussi mettre son cerveau dans une autre disposition, l'ouvrir à d'autres idées, le réveiller à de très très vieux souvenirs. Car c'est vrai que s'ils paraissaient nouveaux ces concepts, ils étaient loin de l'être en vérité. Ils étaient tout au contraire très très anciens, ils faisaient partie des premiers fondements des premières civilisations organisées européennes. Ils étaient bien plus anciens que cet homme bestial, brutal, que nous décrivaient les scientifiques des laboratoires.
Ils appartenaient à une civilisation précise, cultivée, spirituelle, où l'humain était entier parce qu'il n'avait pas rejeté une partie de lui-même, la femme.

Une civilisation strictement féminine a-t-elle existé telle que décrite par les Grecs à propos des Amazones ?
Il semblerait bien que non.
Pas de trace d'hégémonie féminine, pas d'empreinte de femme guerrière et sauvage, pas de seins coupés ni d'hommes réduits à l'esclavage par de rudes femelles.
Pas de matriarcat dans le sens donné au terme « patriarcat » .
Les scientifiques commencent à comprendre, à admettre, depuis quelques temps que pour évaluer un peuple, il est préférable de ne pas se fier aux descriptions de ses ennemis mêmes lorsqu'ils nous sont plus proche culturellement. Grâce à des chercheurs du type de Marija Gimbutas, l'histoire se redessine et s'entrevoit différemment, s'enrichissant de toute la diversité des peuples, des cultures dont elle est en réalité constituée. Nous traversons les rumeurs, les légendes, les mépris que certains posèrent sur toute entité « autre », nous retournons à l'endroit les symboles renversés, tronqués, déformés, et sommes enfin prêts à accueillir le message pré-indo-européen que nous propose ce merveilleux ouvrage.
Je vous laisse donc profiter d'une lecture qui, quoi que vous pensiez, qui que vous soyez, ne vous laissera pas indifférent.e.s.

LE LANGAGE DE LA DEESSE DE Marija Gimbutas.

paru aux Éditions des Femmes en 2005.

415 pages,
Conception graphique (très belle d'ailleurs) de Céline Farez et Virginie Rio





 

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