NIKI DE SAINT PHALLE




Catherine Francblin

Aux Editions Hazan, 2013

 

Niki de Saint Phalle, la révolte à l'oeuvre

 

Il est une chose qu’il faut savoir en ce qui concerne Niki de Saint Phalle, tous ceux qui tentèrent de dissocier son œuvre et sa vie intime, et particulièrement les événements qui composèrent son enfance, en sont toujours restés comme deux ronds de flan.
Niki de Saint Phalle n’a jamais intellectualisé son art pour en faire un objet de développement abstrait, bien au contraire, la vie, l’histoire sont partout présentes et sont parties constituantes de la Grande Œuvre.
Ainsi, réalité, fiction, légende, pensées, idéaux se mélangent, s’amalgament, se fondent sans jamais dévoiler ni origines ni fins. Dans une éternelle continuité d’où la fin est aussi éloignée que l’origine du nom familial.

 

Il était une fois donc, une jeune fille née d’une vieille famille aristocrate encore pleine de sève fière et virile. Dans cette vieille famille dont seuls les hommes fabriquaient la légende depuis les premières croisades, comment allier féminité et participation à cette légende ? Comment dépasser les préjugés anciens et devenir un individu incontournable sans passer par le « marché du mariage » lorsque l’on est femme ?

 


 

« J’ai décidé très tôt d’être une héroïne.
Qui serai-je ? George Sand ? Jeanne d’Arc ?
Un Napoléon en jupons ? Qu’importe qui je serai !
L’important était que ce fût difficile, grand, excitant ! »

Annonce-t-elle en préambule de son premier livre autobiographique TRACES. Remembering 1930 - 1949. Eine Autobiographie. (en Allemand)

 

A force d’écouter les histoires des hommes héros du clan de Saint Phalle, la petite Niki aurait-elle fini par s’identifier à ses ancêtres mâles ? Lorsque sa mère, estimant que ses prénoms officiels Catherine, Marie-Agnès ne lui allaient pas, la baptise « Niki » se référant à Athéna Nikè, la Victorieuse, n’a-t-elle pas malgré elle poussé sa fille vers sa destinée guerrière ?
Mais une guerre contre qui ?
Contre le poids familial sans aucun doute.

 

Ainsi donc ; il était une fois une petite fille qui naquit dans une vieille famille aristocrate française… d’une mère américaine fermement catholique plus ancrée encore au respect des traditions et de la bienséance apparente des choses. Violences et contradictions, mutisme et silence. Soumission et révolte sournoise. Niki nait dans les larmes de la dépression bancaire et de l’infidélité paternelle. Voulut-elle mourir à peine née ? Le cordon ombilical s’enroula deux fois autour de son cou et l’étrangla presque.
La vie et la mort seront dès lors intimement entrelacées.
Elle naquit manquant d’air, elle mourra l’air lui manquant.

« A ma naissance vous avez perdu tout votre argent dans le krach. Et cependant que vous m’attendiez, vous avez découvert la première infidélité de mon père. Je n’apportais que des ennuis. »
Ma mère.

 

Il était une fois une petite fille née dans une vieille famille aristocrate en Amérique.
Niki naquit à Neuilly-sur-Seine mais fut élevée aux USA, à New-York plus précisément. Or, même à New-York, les vieilles familles européennes maintiennent leurs traditions. Si le grand frère John eut droit aux prestigieuses écoles dignes d’un futur représentant de la race des Saint Phalle, Niki et ses sœurs durent se contenter d’institutions religieuses.

 


 

« Quand tu seras grande et que tu quitteras le couvent,
Nous te trouverons un gentil jeune homme de bonne famille,
Tu t’éprendras de lui et tu l’épouseras dans cette chapelle.
Ensuite, tu vivras avec lui dans un château comme le nôtre.
Tu auras beaucoup d’enfants,
Dont un fils bien entendu.
Tu auras un fils qui grandira au château. »

Lui dit son père dans DADDY, le film que Niki réalisa avec Peter Whithead.
In NIKI DE SAINT PHALLE - Qui est le monstre, toi ou moi? (ARTE).

 

Il était une fois encore, une petite fille qui naquit dans une vieille famille aristocrate française. Or, comme toutes les familles, quelles qu’elles fussent, aristocratiques ou vulgairement roturières, cette famille-là réussît ses dérapages impressionnants avec brio.
Famille fougueuse, en paroles et en actes.
Papa viola sa fille l’été de ses onze ans.
Le prince charmant cependant viendra qui l’enlèvera. Ce n’était pas exactement celui que la vieille famille aristocrate attendait, et le mariage ne se déroula pas du tout comme on l’espérait.
Niki avait 18 ans, elle s’envola sur le Vieux Continent y tenter son désenvoûtement.

 


 

« Depuis l’âge de vingt ans, j’ai essayé toutes sortes de thérapies. Je cherchais une unité intérieure que je ne trouvais pas dans le travail. Je voulais pardonner à mon père d’avoir essayé de faire de moi sa maîtresse lorsque j’avais onze ans. Mais dans mon cœur il n’y avait qu’une rage et une haine farouche. »
TRACES. Remembering 1930 - 1949. Eine Autobiographie.

 

Et voici donc, le décor est planté.
Le séjour en hôpital psy à Nice sera pour elle une révélation.
L’art ou les électrochocs ?
Ce sera l’art.

Mais pas n’importe quel art.
L’art du parc Güell à Barcelone, de Gaudi ; l’art du Palais Idéal, du facteur Cheval ; l’art de Simon Rodia et ses Watts Towers. Un art monumental et populaire.
Visitant pour la première fois le parc Güell « j’ai eu l’impression qu’un rayon de lumière me frappait et m’ordonnait : ‘Tu dois faire quelque chose où les gens se sentiront heureux. Tel est ton destin !’ » (Interview.)

 

Cependant avant de rendre les gens heureux, il lui faut d’abord exorciser ses monstres qui lui grignotent le moral; la révolte violente qui pour le moment la menait contre ce que la vieille famille aristocrate avait voulu faire d’elle, contre son père, contre sa mère, contre ce monde patriarcal qui l’enserrait dans ses griffes blessantes ne lui permit pas d’autre expression que celle de la violence et de la douleur.
Abandonnant famille, mari et enfants, elle s’en fut à l’aventure de l’expression pure.

"Ce fut la plus difficile, la plus pénible décision de ma vie parce que j'aimais ma famille. Je devais malgré tout suivre mon rêve et faire de mon travail la seule priorité. J'avais vu la frustration de ma propre mère. Elle pouvait à peine s'exprimer et, à la place, elle 'dévorait' sa famille. Je ne voulais pas refaire la même bêtise." (Avec Cynthia Robins, A rage for Art)

 

Et c’est un autre prince charmant, complètement roturier celui-là, qui lui ouvrit le chemin de son destin. Il sera sa vie entière l’aide exaltant, « mon copain, mon amour, mon rival. »
Jean Tinguely vivait alors au fond d’une impasse sordide, tel un vieux chaman vaquant à ses mixtures, il bricole des machines insensées. Gros ours suisse, il ne sort de sa tanière que pour mieux se rire du monde de l’art trop amoureux de l’argent à son goût.

« Je n’avais rien vu de pareil et j’en étais folle. »
Niki de Saint Phalle.
« Niki de Saint Phalle est le plus grand sculpteur de tous les temps. »
Jean Tinguely.


 

Amour/admiration réciproque.
Combat/complémentarité, mâle/femelle, masculin/féminin, machines/Nanas.

Ensemble ils entrèrent chez les Nouveaux réalistes, mouvements artistique créé pour combattre l’art abstrait pessimiste lié au concept absurde d’une fin apocalyptique de la civilisation. Quelle idée !
Le Nouveau Réalisme se posait, lui, en chevalier de la nouvelle ère industrielle pleine de promesses, riche de merveilleuses perspectives tangibles et d’immenses ouvertures, se riant des guerres, des massacres stupides perpétrés par l’homme.
Ici, c’est l’ « homo ludens » qui s’exprime, joyeux et optimiste.
Farceur et irrévérencieux.
La critique n’est pas triste, elle est vive et moqueuse, burlesque.
Puisque les temps sont fous, amusons-nous !

Ce sont les TIRS alors. Seule expression assez puissante pour exorciser les démons personnels, les folies de tous, les violences inconscientes d’une société devenue folle et que l’on ne reconnaît plus. Mise en scène comme pour un spectacle de foire, le rituel reste ludique. Le sacrifice de la peinture, la mort du monstre se déroulait dans la joie. Les bombes de peintures explosent comme des feux d’artifice liquides, des plaies s’ouvrent, des corps crèvent. La peinture meurt, la peinture renaît.
Tel le Phénix qui resurgit de ses propres cendres, la peinture jaillit brutalement de sa propre mise à mort.
Niki tue.
« En 1961, j'ai tiré sur : papa, tous les hommes,
Les petits, les grands, les importants, les gros, les hommes, mon frère,
La société, l'Eglise, le couvent, l'école, ma famille, ma mère,
Tous les hommes, Papa, moi-même.
Je tirais parce que cela me faisait plaisir
Et que cela me procurait une sensation extraordinaire.
Je tirais parce que j'étais fascinée de voir le tableau saigner et mourir.
Je tirais pour vivre ce moment magique.
C'était un moment de vérité scorpionique.
Pureté blanche.
Victime.
Prêt ! A vos marques ! Feu !
Rouge, jaune, bleu,
La peinture pleure, la peinture est morte. J'ai tué la peinture.
Elle est ressuscitée. Guerre sans victime ! »

Niki de Saint Phalle, cité in Niki de Saint Phalle, la révolte à l'oeuvre, Catherine Francblin

 

NIKI DE SAINT PHALLE - Qui est le monstre, toi ou moi? (ARTE)
Qui sont les monstres qui hantèrent ainsi l’esprit de Niki de Saint Phalle ?
Qui tua-t-elle à coup de fléchettes et de fusil ?
Les hommes, ou plus exactement la mainmise des hommes sur chaque parcelle de la société et de la culture. Le manque d’espace dévolu aux femmes, leur complicité désespérée en même temps que désespérante.
Aimant les paroles fortes elle eut un discours radical, prônant un retour au Matriarcat. Plaçant de-ci de-là une petite allusion à l’ancien culte de la Déesse, elle imagina un féminisme joyeux, plein de verve et fier de son pouvoir créatif. Elle vit dans le conflit homme/femme la manifestation de la jalousie de l’homme face à ce pouvoir qu’il envie et qui le pousse à réaliser toutes ses œuvres mentales. C’est la naissance d’Athéna sortant directement de la tête de Jupiter. Le pouvoir créatif est féminin intrinsèquement, mais le mâle dominant se l’est approprié et a finalement rangé la femme au rang de mégère ménagère.

« C’était un désir de voir les hommes plus petits que ces énormes dames. C’était un désir d’écraser un peu le sexe mâle dans cette société qui nous opprime.
Nous avons tellement exagéré tout ce qui est technique, tout ce qui est la tête que finalement ces femmes, qui sont un peu révolutionnaires, et bien elles portent en elles le désir d’aller vers les émotions, d’aller vers les choses que nous écrasons, vers la sexualité, vers nous, vers la puissance régénératrice de la femme.
Dans la mythologie, c’était tout un… enfin, c’était au fond contre notre esprit scientifique qui nous dévore. »

Interview in NIKI DE SAINT PHALLE - Qui est le monstre, toi ou moi? (ARTE).

 


L’art de Niki était féminin et se revendiquait comme tel. Point d’ambigüité là-dessus, Niki de Saint Phalle fut une femme, son travail fut donc féminin. Elle ne voulut point qu’il en fut autrement et s’amusa toute sa vie à confronter son art féminissime à celui de Jean Tinguely masculinissime. Les Nanas naquirent puissantes, rondes et colorées, les machines de Tinguely restèrent irrémédiablement pointues, sombres et fracassantes. Deux mondes opposés qui pourtant surent trouver un terrain d’entente : la création pure qui permet parfois d’inverser les polarités :
« Quand Jean m’aide à donner naissance à un monstre comme celui-ci, c’est lui la mère, car il effectue le travail physique à partir de ma maquette. Et je suis l’homme, car c’est mon idée. »
Niki de Saint Phalle était une femme totalement, cependant elle se permettait parfois d’intégrer et de manifester l’autre sexe… ou genre…
Être une artiste purement féminine c’était aussi s’opposer aux traditions véhiculées à l’intérieur de la vieille famille aristocrate. C’était incruster par force une femme dans l’histoire de cette famille, l’obliger à repenser son futur en imposant une autre lignée. Une lignée de femmes : Niki, Laura, Bloom, une lignée de féminité et de métissage :
Son arrière-petit-fils Djamal « est français, américain, vietnamien, grec, belge, irlandais, anglais, africain, écossais, russe, italien, juif, cubain. Le noir est en moi maintenant. »
In Niki de Saint Phalle, la révolte à l'oeuvre, Catherine Francblin.

 

Niki mourut-elle heureuse ?
Qui pourra répondre à part ceux et celles, surtout, qui l’entourèrent lors de ses derniers instants. Cependant, il semblerait que l’histoire eut son Happy Ending, les deux dernières œuvres monumentales inachevées à sa mort furent accomplies fidèlement durant les mois qui suivirent.
La légende de Niki continue encore à bercer nos rêves et nos espoirs ; le soir de l’inauguration de la dernière sculpture monumentale américaine un feu phénoménal dévasta toute la Californie mais s’arrêta à quelques mètres de son périmètre.
Était-ce un miracle accompli par la Déesse ?
C’est très possible, la sculpture est un hommage aux anciens cultes des peuples amérindiens et à Califia la reine noire qui donna son nom à la Californie :
« Décrite comme une guerrière, d'une prodigieuse beauté, sanglée dans une armure dorée et chevauchant un griffon, Califia régnait sur une troupe de chiens sauvages, entourée de guerrières comme elle. »
Catherine Francblin, Niki de Saint Phalle, la révolte à l'oeuvre.

 


Mais il y a tant et tant de choses à dire, tant et tant d’histoires à raconter sur la légende de Niki de Saint Phalle (qui n’est pas uniquement légendaire puisqu’elle insistait fortement pour qu’on la connaisse comme être vivant réel et pas comme une « Star abstraite »), je le sens bien beaucoup trop d’événements furent passés à l’as dans mon modeste récit. J’ai oublié tant de détails majeurs !
Mais pour tout consigner il m’aurait fallu écrire un livre d’au moins 447 pages !!!
Il se trouve que Catherine Francblin a particulièrement bien travaillé à ma place dans son livre Niki de Saint Phalle, la révolte à l’œuvre. Comme je n’aime pas la redondance et qu’en plus ce livre est magnifiquement documenté, référencé, accepté (par les officiels et les membres de la descendance directe de l’héroïne en question) je vous présente alors cet ouvrage déjà fait évitant ainsi de me noyer dans un labeur où je n’aurais pas eu pied !
Cependant, puisqu’il peut être un peu frustrant de n’aborder une artiste telle que Niki de Saint Phalle que par le truchement d’une biographie écrite, et de plus écrite par une autre personne qu’elle-même, je vous invite à vous procurer le plus de documents images possibles. Vous trouverez des liens vers les films, les reportages, les livres autobiographiques, etc. tout au long de cet article et en fin de celui-ci, pour vous donner une idée la plus proche possible de ce qu’était l’Esprit Nikéen.

 

Bonne lecture.

 

Niki de Saint Phalle, la révolte à l'oeuvre - Catherine Francblin
Aux éditions Hazan, 2013
447 pages

 
 



 
 

TRACES. Remembering 1930 - 1949. Eine Autobiographie.

Il sera peut-être difficile de le trouver en version française, je n'ai moi-même pu me le procurer qu'en allemand pour l'instant, mais on ne sait jamais, en cherchant bien il se pourrait que vous tombiez sur une pépite rare.



NIKI DE SAINT PHALLE - Qui est le monstre, toi ou moi? (ARTE)

Un excellent documentaire Peter Shamoni, avec Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely.


 

MON SECRET

En réédition 2010.



ALLER PLUS LOIN

Sur le site de l'INA
Diverses petites vidéos et reportages téléchargeables.

Niki de Saint Phalle - Un rêve d'architecte

 

 

 
 
 
 
Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely - Les Bonnie & Clyde de l'Art.

DADDY un film de Niki de Saint Phalle et Peter Whithead



QUAND DIEU ÉTAIT FEMME



MERLIN STONE

Quand Dieu était femme
Au Éditions Étincelles, Col. Grands Débats
1978 en France,


When god was a women
1976 édition originale.

 
Merlin Stone est une autrice, sculptrice et professeur d'art et d'histoire de l'art américaine. Curieuse et passionnée d'archéologie elle décide un jour de mener une enquête qui lui permettrait de répondre à cette question que certain.e.s se posent mais dont peu ont le courage d'assumer la réponse :
« Comment en sommes-nous arrivés là ? »
Là ?
Dans une société uniquement décidée, dessinée, pensée, mise en œuvre, bouleversée par l'homme. Qui a décidé un jour que la femme devait se taire et l'homme parler ?
Pourquoi les femmes se sont-elles tues ?

En lisant Starhawk, nous avons vu les conséquences de l'élaboration d'une société oubliant sa part de féminin. En lisant Quand Dieu était femme de Merlin Stone nous allons comprendre comment le processus s'est mis en place, d'où il prit sa source.
J'ai toujours pensé que ce n'est qu'en allant au plus proche des sources, des origines des textes, des religions et des dogmes, que nous pourrions trouver une réponse aux problématiques de notre société actuelle. Là-bas, juste à coté du moment 0, du temps T0, existe une petite parcelle de cause, un petit germe de quelque chose qui, durant 3 à 4000 ans s'est développé au dépend de tout ce qui se trouvait proche de lui. Ce germe devint une chose monstrueuse, une sorte de plante carnivore immense sans égal.
Au début, nous raconte l'histoire, il n'y avait rien.
Il n'y avait ni ciel ni terre.
Rien qui respire, rien qui soit.
Et puis quelque chose est arrivé.
Il y eut la vie, le Ciel et la Terre.
Il y eut tant de vie que ça pullulait de partout !
Ça barbotait, ça rigolait dans tous les coins.
Le Ciel était notre Père à tous et la Terre notre Mère à tous,
ou bien, la Terre était notre Père et le Ciel notre mère.
Cela dépendait de la conception des choses de chacun. Le Ciel n'était pas toujours bleu et parfois la Terre s'agitait, mais en général, les choses, les événements étaient acceptés et l'on savait que ce n'était que pour mieux recommencer. Jamais exactement pareil mais toujours de la meilleure manière. L'existence n'était qu'une suite de remerciements devant ce miracle extraordinaire de la Vie et chaque jour chaque être vivant remerciait le Ciel et la Terre qu'ils nous eurent enfantés. On remerciait la Lune et le Soleil pour leur lumière, leur chaleur et leur douceur. Le mystère de la Lune, le franc éclat du Soleil. Les deux astres développèrent leur propre personnalité. Différents mais toujours ensemble, comme le dit la chanson.
Nous vivions le Paradis sur Terre, le Jardin merveilleux des premiers temps, celui d'avant...

D'avant la Grande Calamité !
La Grande Transformation.

Certains nous disent que la Grande Calamité apparut à partir du moment où les hommes comprirent leur rôle dans la procréation, d'autres, dont je fais partie, se disent que cela faisait longtemps qu'ils avaient compris, que les femmes aussi, bien sûr avaient compris, car ces choses sont, malgré tout, assez facilement observables – surtout pour icel.le qui inventa la roue et l'écriture. La scission n'avait pas eu lieu pour autant. Les hommes et les femmes vivaient ensemble, aucun des deux sexes ne se trouvant supérieur à l'autre même si parfois les rôles étaient bien séparés. La grande obsession de la « filiation » n'avait pas encore troublé les esprits et si Sargon nous dit qu'il n'a jamais connu son père, il semblerait qu'il s'en fichait royalement misant sur l'espérance de se faire son propre nom plutôt que de perpétuer celui d'un autre.
Les humains de l'époque n'étaient pas meilleurs que ceux qui saccagèrent leurs sociétés, il y avait des guerres, des conflits, des sacrifices – et parfois humains ! Mais l'organisation même des cités ou des tribus nomades ne permettait pas qu'un homme ou qu'une femme prenne le pouvoir sur les autres, elle ne permettait pas qu'un clan en extermine un autre, qu'une race ou un sexe se sente supérieur à un.e autre. Ce n'était pas possible car il n'y avait aucun intérêt à cela.
L'homme ne battait pas sa femme puisque sa femme avait les mêmes droits sociaux et spirituels que lui. Aucune femme ne cherchait à castrer aucun homme, comment aurions-nous pu jouir des joies du sexe ?! Freud et consorts n'ont plus qu'à aller se rhabiller, les hommes sont généralement les seuls à chercher à se castrer.
Car, rappelons-nous, en ces temps miraculeux, le sexe représentait notre bonne relation avec la divinité, il était un hommage à sa puissance créatrice, un don merveilleux de plaisir et de joie. Joie de créer, plaisir de jouir.
On dit qu'en ces temps, les sociétés suivaient une organisation matrilinéaire.

C'est alors qu'apparurent, des fins fond des steppes de l'Europe de l'Est et du Nord des cavaliers vifs et agressifs, immenses et barbares. Ils ne connaissaient pas l'écriture, bien qu'ils aient leur part de génie, ils ne connaissaient pas l'agriculture et vivaient de chasse, de pêche et d'élevage. Au contact des cités millénaires ils apprirent l'écriture, l'organisation sociale et culturelle. Cependant ils ne cédèrent sur aucune de leurs habitudes ; la hiérarchie née de la loi du plus fort et le pouvoir absolu de l'Homme.
Ils renversèrent les Dieux anciens en imposant les leurs, imposant leurs dogmes et leur loi de fer.

C'est fut fini du Paradis sur Terre, désormais la vie ne fut plus que tourments, pêchés, culpabilités, punition et parfois récompense. Nous étions les jouets d'un dieu vengeur, un dieu de colère, de rage et de tonnerre. Un dieu viril et guerrier, prompt au combat, le mâle dans toute sa splendeur agressive, reniant toute intervention du féminin dans son dessein.

En lisant Le Langage de la Déesse de Marija Gimbutas, nous avions déjà pris connaissance de ces sociétés pré-indo-européennes – telles qu'elle les nommait elle-même – mais ici, avec Merlin Stone et son livre Quand dieu était femme, nous assistons lentement à la chute véritable de l'humanité provoquée par l'arrivée des religions patriarcales et l'instauration des dogmes judéo-chrétiens.
Nous témoignons de ce processus décrit en toute « légitimité » dans les textes anciens, dans les écritures dites saintes, nous sommes les spectateurs atterrés de cette lente destruction de l'Esprit.

Aujourd'hui, grands héritiers du dogme patriarcal, de la culture de l'Homme blanc supérieur à toute autre forme d'humanité nous commençons peut-être à en comprendre les limites et l'absurdité. Les tueries du Pakistan, les massacres au Niger, les persécutions des femmes en Afghanistan, en Inde, en Chine, etc. (liste loin d'être exhaustive) jusqu'à l'assassinat des journalistes de Charlie Hebdo, tous sont les fils de ce père unique, le dieu sans femme de ces tribus barbares.
Le néolibéralisme, la disparition des espèces animales, l'éradication des civilisations amérindiennes, la déstructuration des cultures africaines, le déracinement de la culture occidentale elle-même, sa perte de repère, son manque de capacité à accepter sa dépendance à l'élément naturel, sa course à l'accumulation de richesses (voir l'article des Nouvelles News sur le dernier constat) sont les conséquences de la vue bornée de ce dieu mâle.
Tant que nous ne voudrons pas regarder les choses telles qu'elles sont, tant que nous nous contenterons des messages simplistes des dogmes patriarcaux louant leurs poulains, nous continuerons à assister à ces massacres, nous continuerons de voir augmenter la misère humaine au même rythme que la surpopulation et baisser le nombre d'espèces vivantes sur la planète.

Il nous faut repenser profondément la base de nos cultures, nous devons impérativement et rapidement restructurer les dogmes qui fondèrent la civilisation occidentale (entre autre). Nous devons perdre l'habitude de la compétition, de cette course au pouvoir et à la puissance. Nous devons remettre en question très vite notre rapport avec notre environnement, qu'il soit matériel, social, psychique, politique ou spirituel.
Nous n'avons jamais été créés dans le but de « régner » sur quelque chose ou quelqu'un. Nous avons été créés dans le but de nous entendre, de nous comprendre, d'aimer notre diversité et la formidable richesse de la Création.
Ces dieux qui nous demandent de nous entre-déchirer ne sont pas des dieux, ce ne sont que des visions politiques divinisées pour permettre à une certaine catégorie de personnes de s'octroyer des droits et de les refuser à tous les autres.
C'est ce qui ressort de ce livre très bien écrit et très justement pensé. Quand dieu était femme n'est pas un livre qui exige la libération des femmes seules, il démontre à quel point cette libération des femmes ouvrira les portes aux hommes eux-mêmes.

QUAND DIEU ETAIT FEMME, de Merlin Stone

Aux Editions Etincelles, coll. Grands Débats, 1976
349 pages.

Voir aussi l'article Merlin Stone - Quand dieu était femme sur le site du Mouvement Matricien



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